Depuis la révolution sexuelle, notre langue est plus folichonne que jamais. Enfin, c'est ce que nous révèlent les statistiques. À Montréal, près de neuf adultes sur dix, entre 18 et 45 ans, ont goûté au moins une fois aux joies du sexe oral. Les caresses buccales sont-elles en train d'occuper toute la place dans nos lits?
"C'est une technique érotique de plus en plus explorée et appréciée par les hommes et les femmes. Mais je doute qu'elle soit pratiquée de façon systématique dans toutes les chambres à coucher", estime Michel Goulet, sexologue. Ainsi, si des couples l'intègrent à leurs relations sexuelles au même titre que la pénétration, d'autres y ont recours avec parcimonie et certains s'en passent tout bonnement.
Pour plusieurs, la fellation ou le cunnilingus constituent "le" geste érotique par excellence; pour d'autres, ils symbolisent un acte de générosité. Les relations buccogénitales peuvent être aussi un moyen de contraception original, ou encore, servir de préliminaires à un face à face sportif. Bien qu'elles fassent partie de nos m¦urs sexuelles, les caresses orales revêtent un caractère particulier. Pour Odile, 34 ans, donner une "pipe", c'est faire un cadeau. Annie, 30 ans, voit cela comme un jeu érotique exquis. Diane, Manon et Carole, dans la trentaine, perçoivent le cunnilingus comme un immense plaisir offert sur un plateau d'argent. Quant à Pierre-André, 28 ans, il considère la fellation comme une faveur que sa blonde, à son grand désespoir, ne lui livre qu'au compte-gouttes. Enfin, Paul, 38 ans, associe l'amour oral à la passion et Christophe, 53 ans, à une preuve d'amour.
Selon ces hommes et ces femmes, plus on vieillit, moins on a envie de faire joujou avec notre langue lors d'une première rencontre au lit. On attend qu'intimité, confiance et complicité se nichent sous les couvertures. "Pendant la fellation, tout ce que je souhaite, c'est que mon chum se laisse aller à son plaisir. Je lui fais cette caresse lorsque nous nous sentons très proches l'un de l'autre" explique Odile. "Tout dépend de la qualité de notre relation, juge Annie. Si je suis bien avec lui, ça va. Mais si j'éprouve un malaise ou une attirance moyenne, on passe à autre chose." Alors qu'elle avalait le sperme sans réticence dans la vingtaine, Carole réserve aujourd'hui ce geste érotique à ses amants les plus sensuels. " Sinon, j'éprouve du dégoût ", affirme-t-elle.
Il ne faudrait pas non plus se sentir coupables d'éprouver du dégoût pour le sperme, car les gars n'ont pas l'air de s'en formaliser. Pour les uns, le fait qu'on avale est un bonus; les autres s'en moquent comme de l'an quarante. N'allons pas croire pour autant que l'image de la bonne affaire au lit — une fille gourmande de sexe, un brin putain — se volatise pour autant. Bien sûr, on entendra toujours, dans les vestiaires sportifs, des commentaires du genre "celle-là , elle avale". Mais selon la sexologue Carole Thabet, les filles et les gars à l'aise avec leur sexualité n'ont rien à faire de ces préjugés. "Lorsqu'on les interroge séparément, on s'aperçoit que le mythe de la "mangeuse d'hommes" est plus ou moins présent chez eux", dit-elle.
Si une bonne majorité d'entre nous pratiquent un peu, beaucoup ou passionnément ce bouche-à -corps, nous demeurons secrètes et silencieuses sur les caresses buccales qui nous mènent droit à l'éden. On parle, sans cligner des yeux, de la fréquence de nos rapports sexuels, mais en ce qui concerne les détails de nos ébats, alors là , les anges passent. L'origine probable de ce malaise: une éducation aspergée d'eau bénite. 


 On ne s'étonnera pas alors que ce soit nos parents qui tirent le plus la langue au sexe oral: à peine 38 % des gens de 55 ans et plus auraient donné ou reçu au moins une caresse buccale au cours de leur vie. En revanche, chez les adolescents, la pratique du cunnilingus et de la fellation est courante, note Carole Thabet. "Dans une vingtaine d'années, nous nous sentirons peut-être plus libres d'en parler qu'aujourd'hui", avance son collègue Michel Goulet.

 
 En fait, les voies des caresses sexuelles sont si impénétrables que parfois même notre partenaire ignore lesquelles remportent à nos yeux les prix orange et citron. "J'entends des couples, mariés depuis des années, me confier qu'ils découvrent les caresses favorites de leur conjoint à partir des confidences qu'ils me font en consultation, observe Michel Goulet. Même si on parle de sexualité de façon ouverte depuis 20 ans, certains d'entre nous hésitent toujours à confier leurs désirs et leurs insatisfactions à leur partenaire. On se tait, entre autres, pour ne pas blesser l'autre ou par crainte de rompre la magie du moment.
Grand mal nous fasse! Car à défaut de discuter de nos grandes et petites envies sur l'oreiller, on en est réduite à deviner ou à laisser l'autre découvrir à tâtons les câlins mouillés porteurs de bonheur.

 Or, nous ne sommes pas toutes des Linda Lovelace — la star porno du film culte "Gorge profonde". Si la très grande majorité des gars raffolent de la fellation — selon une étude américaine, elle se classe bonne première parmi les caresses sexuelles appréciées par les hommes —, plusieurs d'entre eux préfèrent malgré tout la bonne vieille pénétration ou encore... la masturbation! La première, parce qu'elle implique une fusion avec la partenaire; la seconde, parce qu'on n'est jamais mieux servi que par soi-même!
"Lorsque je me masturbe, je me laisse guider par mes sensations. Je sais exactement quand accélérer le mouvement de la main et où accentuer la pression, explique Louis, 40 ans. Jusqu'à présent, il n'y a eu que mon "ex" qui m'ait donné autant de satisfaction. Elle avait la "touche magique" que je n'ai jamais retrouvée chez d'autres filles." Les sensations d'une fellation sont indescriptibles, rien à voir, paraît-il, avec la pénétration. Chaude et humide comme la vulve, la bouche se démarque par la pression des lèvres et les mouvements de langue sur le pénis et le gland. Bien dosées et savamment rythmées, elles procurent à nos jules des émotions intenses. 

Les hommes souffrant d'éjaculation précoce adorent les tête-à -queue. Ils se concentrent sur leur orgasme sans avoir à l'esprit la préoccupation de faire jouir leur compagne, le n¦ud de leur problème. "Durant la pénétration, le gars se préoccupe du plaisir de sa compagne alors qu'avec la fellation, il s'abandonne à son propre plaisir", explique le médecin et sexologue Laurier Therrien. Ces hommes adorent également pratiquer le cunnilingus: une façon pour eux de trouver grâce auprès de leur conjointe", avance le médecin.
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Selon les gars, une "pipe" sur deux se casse la margoulette. Nos erreurs les plus fréquentes: mordiller — la technique numéro un pour éteindre les ardeurs —; débuter avec un va-et-vient rapide alors qu'il ne souhaite que la douceur, ou encore, suçoter le gland sans grande conviction. Enfin, dernière critique et non la moindre, en voulant à tout prix que son petit oiseau s'envole au plus vite, nous lui coupons le sifflet. "Lorsque ma copine me suce pour me faire plaisir, j'ai toujours peur qu'elle se tanne. Je me mets alors à fantasmer afin d'accélérer mon orgasme, confie Louis. Sinon, elle me fait une crise existentielle. Si la fellation dure plus de cinq minutes, elle s'imagine qu'elle ne m'excite plus."
Mais, douce consolation, nos maladresses sont à moitié pardonnées lorsqu'on besogne avec appétit — une observation qui vaut aussi pour les hommes et le cunnilingus. Quand c'est fait de façon mécanique, j'ai moins envie de me laisser aller. J'ai besoin d'être stimulé par des caresses et des baisers avant que ma blonde débute une fellation", explique Paul. De son côté, Christophe se souvient de cette amante qui l'avait littéralement "dévoré" jusqu'à ce qu'il explose. "Une sensation exceptionnelle que je n'ai jamais retrouvée par la suite. Elle était aussi excitée que moi", raconte-t-il.

 Selon les personnes interviewées et les sexologues, la technique importe peu si la partenaire est corps et âme avec son conjoint. "Quand on est sensible à l'autre, on devine quel geste est source de plaisir, note Michel Goulet. À condition bien sûr qu'il soit expressif durant les ébats", ajoute-t-il. Certains sont si silencieux qu'on croirait faire l'amour à un moine tibétain. Dans un tel contexte, on joue à colin-maillard. Toutefois même emmurés dans leur silence, ces hommes nourrissent l'espoir qu'on perçoive leurs désirs les plus intimes. Ils supposent que si leur partenaire est vraiment en amour avec eux, elle va deviner quelles sont leurs caresses favorites. Ce comportement tient de la pensée magique!, croit le sexologue. Si l'homme demeure secret, elle ne saura jamais ce qui le fait jouir." À moins d'avoir une intuition très aiguisée.

 À défaut d'avoir un mari ou un amant à la langue déliée, il ne nous reste plus qu'à explorer les techniques, en carburant au désir. Sinon, à se fier à notre bagage de vie, un excellent repère. Mais attention, ce n'est pas parce que notre "ex" s'extasiait sur l'agilité de notre langue que le prochain petit ami va adorer le même traitement. La règle d'or pour le savoir: communiquer, communiquer, comm... Même si notre Roméo n'est pas verbo-moteur de nature, informons-le de nos hésitations sur ses préférences. "Mieux vaut confier vos doutes plutôt qu'éprouver un sentiment d'inconfort durant l'amour", indique Carole Thabet. À force de le titiller avec nos questions, peut-être nous fournira-t-il des bribes d'information sur lui.

 
 Bien sûr, discuter de nos goûts sexuels sur le matelas n'est pas toujours évident. Dans le feu de l'action, on n'a pas l'esprit à tenir une conférence de presse sur les dix caresses qui nous font vraiment planer! Toutefois, les sexologues assurent qu'en guidant doucement le partenaire ou en lui confiant nos envies et nos craintes sur l'oreiller, on détient la clef du paradis. 


 Pendant que les auteurs d'ouvrages sur la sexualité s'échinent à nous enseigner les vertus de l'abandon sexuel, certains hommes refusent de se laisser aller entre les lèvres de leur compagne. "Je n'aime pas l'idée d'être passif et elle, active. Pour moi, faire l'amour implique la notion de partage. Je veux qu'elle et moi jouissions en même temps", confie Christophe, qui préfère un orgasme par la pénétration.

 
 Durant les moments forts du féminisme, on associait la fellation à un acte de soumission. Qu'en est-il aujourd'hui? "Bien des hommes de ma génération — la cinquantaine — ressentent un sentiment de puissance. Ils se disent: je lui ai demandé de me sucer et elle le fait parce qu'elle m'aime. Alors je prends tout mon temps", rapporte le Dr Laurier Therrien. 
 

Du côté des plus jeunes, cette perception tend à diminuer. Louis et Paul-André se préoccupent du bien-être de leur compagne. Quant aux filles, elles balaient du revers de la main cette idée de soumission. Durant la fellation, elles ont plutôt l'impression de jouer un rôle plus actif que celui qui leur est habituellement conféré lors de la relation sexuelle. De plus, lorsqu'elles se savent habiles avec l'appendice, elles en retirent une certaine fierté.
Jocelyne est dentiste, elle a 39 ans et elle a été mariée pendant huit ans. Elle a découvert les délices de l'amour oral il y a quatre ans, peu de temps après son divorce. Avant cette période, elle avait une vague idée de ce que pouvait être le cunnilingus. "Je croyais être parmi les privilégiées à vivre une telle expérience. Jusqu'à ce que je me confie à ma soeur et à ma mère. Toutes les deux m'ont regardée d'un air étonné: elles connaissaient la pratique depuis belle Iurette, se rappelle-t-elle. 


 Les hommes le savent: une bonne majorité d'entre nous adorons le cunnilingus. "Il est plus facile de faire jouir une femme avec sa langue qu'avec un pénis, raconte le Dr Laurier Therrien. On est sûr du résultat." Les hommes ont ainsi l'impression d'être à la hauteur de la situation. Ah! cette fameuse préoccupation de se révéler un bon amant; elle revient souvent sur le tapis. Pourtant, sa définition varie d'une femme à l'autre. "Pour les unes, c'est celui qui va droit au but; pour les autres, c'est l'amant qui explore lentement les différentes zones érogènes alors que pour d'autres encore, ce sera celui qui favorisera la chaleur du toucher", nuance le sexologue Michel Goulet.

 
 À l'instar du sexe opposé — décidément, nous partageons de nombreux points communs sur l'amour oral avec lui —, plusieurs filles se déclarent être aux oiseaux quand leur partenaire embrasse amoureusement leur sexe et l'effeuille avec douceur. En retour, elles plissent le nez s'il s'acharne sur le clitoris, un organe hypersensible. Une maladresse que plusieurs ont tendance à répéter.
Parfois, il ne faut pas se fier au plaisir apparent que démontre le partenaire pour le cunnilingus. Diane l'a appris à ses dépens. Après quelques mois de cohabitation avec son nouveau chum, il lui a avoué sa répulsion à mettre son nez dans son buisson, à moins qu'elle ne sorte de la douche et qu'il n'ait un verre dans le nez. Le goût de ses secrétions vaginales le rebute. Il lui faisait le cunnilingus durant les premières rencontres au lit dans l'espoir de cimenter leur union. Pour cette pro-cunnilingus, ce fut un choc qu'elle a tout de même digéré par la suite. "J'aimais mieux le savoir au début de notre relation que de me retrouver avec un gars frustré au bout de trois ans de vie commune." 
 

"Je serais malheureux si ma compagne me refusait cette caresse oraIe, révèle Paul-André. On ne lui souhaite pas de rencontre sensuelle avec Annie, car pour cette jeune femme de 30 ans, le cunnilingus est une pratique agréable, sans plus. "Mon chum ne comprend pas. La plupart de ses blondes adoraient ça. Avec moi, il a l'impression d'être un amant incomplet. Alors que ça n'a rien à voir! Le cunnilingus me procure des sensations intenses, mais superficielles. Après, je n'ai plus envie de faire l'amour."

 
 Avant de jeter bottes et caleçon par la fenêtre, ne serait-il pas plus sage de s'interroger sur ce puissant désir du cunnilingus? "Peut-être identifierons-nous de nouvelles caresses qui sauront mieux répondre à notre besoin d'être acceptée par l'autre et qui pourront également plaire à notre partenaire", indique Michel Goulet. Car détester le cunnilingus, tout comme la fellation, n'a rien d'extravagant. On lève bien le nez sur la viande, le brocoli ou les fruits de mer, et personne n'en fait un plat. Pourquoi serait-ce différent au lit? Là comme ailleurs, les goûts sont une affaire personnelle! Intime, vous avez dit?